D’abord, les motards et leurs gyrophares bleus qui clignotent, silencieux. Et puis, le corbillard. Le véhicule surgit rue Désiré-Delansorne, contourne le beffroi jusqu’à la rue de la Braderie, avant de plus longer l’hôtel de ville, lentement. Sur la façade gothique, un portrait géant de Dominique Bernard, professeur de français assassiné, vendredi 13 octobre à Arras, par un ancien élève radicalisé, il avait 57 ans. Sur la picture, il pose devant une statue grecque ou romaine. Il porte un tee-shirt et un sac à dos, tient un information de voyage à la major. Il sourit.
Ce qui restait de ciel bleu s’est couvert, et quand la cérémonie religieuse begin, jeudi 19 octobre à 10 h 30, il se met soudain à pleuvoir. Le quartier de la cathédrale d’Arras, où se respectent les obsèques de l’enseignant, est quadrillé, bouclé. Les commerces fermés ; des policiers partout. Un millier de personnes ont pu entrer : les proches de Dominique Bernard, des élèves et des enseignants de la cité scolaire Gambetta où il travaillait, une poignée d’officiels, dont le maire d’Arras, Frédéric Leturque, le président de la région Hauts -de-France, Xavier Bertrand, le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, et Emmanuel et Brigitte Macron, sont restés silencieux, à la demande de la famille.
Précédé par une croix de Taizé, portée par des élèves de l’école, le cercueil entre dans la nef, sur la Sicilienne de Bach. « Nous sommes là avec toute la nation touchée au cœur, lance l’évêque d’Arras, Mgr Olivier Leborgne. Nous sommes là, désemparés mais ensemble. » Au premier rang, la femme de Dominique, Isabelle, elle aussi enseignante, ses trois filles, sa sœur Emmanuelle, de cinq ans sa cadette, ses neveux et nièces, et sa mère, Marie-Louise Bernard, la sœur de l’ancien journaliste du Monde, spécialiste des religions, Henri Tincq. Le fils aimait taquiner sa mère, catholique pratiquante et engagée : « Ça t’organize bien de croire qu’il ya quelque selected après la mort… » Lui, qui avait perdu la foi, affirmait que « les religions n’apportaient que les guerres ». Mais il continuait de lire la Bible, dont il avait deux exemplaires dans son bureau.
« Il n’aimait pas le bruit et la fureur du monde »
« Il aimait Julien Gracq, Proust, Céline et Pierre Michon…, commencer à lire Isabelle Bernard, d’une voix claire. Il aimait la poésie, la philosophie (…). Le cinéma, Truffaut, Kubrick. Il aimait le baroque (…). L’Italie, la Toscane, Le Caravage. Il aimait Matisse, Gauguin, Soulages. Il aimait le gothique (…). La Provence, ses couleurs, ses senteurs. Il aimait les étangs, les rivières, les forêts. Il aimait la lumière rasante du soir. » Cet homme solitaire, smart et discret, élevé jeudi au grade de chevalier de la Légion d’honneur par la présidence de la République, « n’aimait pas les réseaux sociaux, la foule et les honneurs, les cérémonies, qu’il avait en horreur », poursuit son épouse, qui résume : « Il n’aimait pas le bruit et la fureur du monde. »
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